Témoignage de Vitchitr Sidhant Geerwar… HSC Lauréat Filière d’Arts Cuvée 2024

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Il existe des parcours qui se construisent dans le silence, à force de persévérance et d’espoir discret. Ce témoignage n’est pas seulement celui d’une réussite scolaire, mais celui d’un chemin de transformation rendu possible grâce à un accompagnement humain et solidaire. Il est dédié à toutes celles et ceux qui, comme moi, ont grandi avec peu, mais qui ont reçu assez pour rêver.

Pendant plusieurs années, ma famille a bénéficié du soutien du National Empowerment Foundation (NEF), à travers le dispositif du Social Register of Mauritius. Ce soutien a été bien plus qu’une aide sociale : il a été un levier vers la dignité. Accès à Internet, tablettes éducatives, matériel scolaire, primes d’examens, sorties éducatives… Chaque ressource a été un pas de plus vers la réussite. Ce sont ces appuis simples, mais décisifs, qui m’ont permis de poursuivre mes études dans des conditions acceptables, et surtout de croire que ma place avait de la valeur.

En 2024, j’ai été proclamé lauréat de la filière d’Arts. Mais ce résultat appartient à bien plus qu’un élève. Il reflète une dynamique familiale, l’engagement d’un collège, et la vision d’un État qui croit que la réussite ne doit pas être un privilège, mais un droit pour tous. Il est la conséquence directe de stratégies sociales bien pensées, ancrées dans le réel, et fondées sur la dignité humaine. Ce type de réussite montre que lorsque l’on donne à chaque enfant les moyens d’apprendre, de penser et de s’exprimer, il peut aller au-delà des limites que la société lui impose trop souvent.

Cependant, il serait illusoire de parler de réussite sans reconnaître les souffrances silencieuses qui traversent la jeunesse mauricienne aujourd’hui. Beaucoup de jeunes vivent dans un état de tension intérieure permanente, trop souvent invisibilisé. La santé mentale est devenue une urgence ignorée, exacerbée par la pression scolaire, les ruptures familiales, et le manque de structures de soutien. D’autres s’enfoncent dans la dépendance aux drogues synthétiques, faciles d’accès, bon marché, et dévastatrices. La sexualisation précoce des adolescents, nourrie par une exposition incontrôlée aux réseaux sociaux et à des modèles erronés, fragilise l’image de soi et pousse à des comportements à risques. Le harcèlement, sous ses formes physiques et numériques, s’intensifie dans les écoles et les espaces virtuels, souvent sans réponse efficace. Et puis, il y a la pauvreté, toujours là, silencieuse, pesante, qui pousse certains à abandonner l’école pour subvenir aux besoins de leur foyer. Ces réalités sont bien plus que individuelles : elles révèlent les failles systémiques d’un modèle qui peine encore à protéger les siens.

Mais tout n’est pas figé. Il existe des solutions, à condition de les penser dans l’écoute et la proximité. Il faut donner la parole aux jeunes, renforcer les structures de santé mentale dans les écoles, créer des espaces de confiance où les émotions ne sont pas un tabou. Il faut former les éducateurs, impliquer les familles, et offrir à chaque jeune une alternative, un projet, une lumière. Et surtout, il faut cesser de traiter la précarité comme une honte. Elle n’est pas un défaut moral, elle est une condition à partir de laquelle on peut reconstruire. La NEF l’a compris. Elle n’a pas cherché à donner uniquement des aides, mais à accompagner, à encourager, à rendre possible. Sa présence discrète mais structurante a changé notre trajectoire. Ce modèle devrait être étendu, renforcé, et reconnu comme une stratégie de transformation sociale durable.

Je veux aussi redonner toute sa valeur à la filière d’Arts. Elle ne doit plus être considérée comme un choix de repli, mais comme une voie exigeante, riche, et profondément utile à la société. Les disciplines artistiques forment des penseurs sensibles, capables d’analyser le monde, de poser les bonnes questions, et de proposer des réponses nuancées. Dans une époque marquée par le bruit, la vitesse et les extrêmes, les Arts offrent un espace pour comprendre, relier, et humaniser. Ce n’est pas une fuite du réel, mais un retour à l’essentiel.

Ce témoignage est un hommage à toutes les mains tendues, visibles ou invisibles. Celles de la NEF, de mes enseignants, de mon collège, et de ma famille. Il est aussi une invitation à regarder autrement la jeunesse de ce pays. Une jeunesse qui ne demande pas la pitié, mais l’opportunité. Une jeunesse blessée parfois, mais vivante, et capable, si on lui donne les moyens, de soulever des montagnes. Car l’avenir de Maurice ne se construira pas uniquement avec des politiques et des chiffres. Il se construira avec foi. La foi dans la capacité d’un enfant à apprendre. La foi dans la force de l’éducation. Et surtout, la foi dans l’idée que personne ne mérite d’être laissé de côté.

Je ne suis pas une exception. Je suis le résultat d’un effort collectif. Et ce que j’ai vécu peut devenir la norme, si nous choisissons tous ensemble de ne laisser personne derrière. L’avenir de Maurice pourrait être réécrite seulement si le potentiel de la jeunesse est libéré.