Le monde est définitivement dans un tournant décisif de son histoire. La pandémie de la Covid-19, les confinements, les mesures sanitaires, les crises économiques qui se profilent à l’horizon, la guerre et l’angoisse de la sécurité alimentaire ont profondément bouleversé nos vies. Un des effets certains qu’apportera ces évènements est un basculement de nos habitudes et manières vers une nouvelle normalité. Mais alors que les dirigeants et décideurs se concentrent sur les aspects économique, environnemental et souveraineté en matière de consommation, qu’en sera-t-il de de nos comportements et valeurs humaines ?
De manière générale, toute crise déstabilise les grands courants intellectuels et idéologiques. Elles exposent ou font ressortir au grand jour les limites d’un modèle. Certes, tous ces évènements chaotiques récents ont mis à la lumière plusieurs faiblesses qu’il faut impérativement remédier pour garantir une prochaine stabilité. Mais, il ne faut pas non plus négliger le coté humanisme, qui s’est montré capital dans la construction de notre société et qui doit être encore renforcer alors que les valeurs et le vivre ensemble se perdent dans une crise générationnelle.
Cette tempête passera. Le monde continuera de tourner, vraisemblablement dans un modèle plus pointu en matière de développement et d’indépendance. La question est donc de savoir dans quel état d’esprit sera la population future ? Si nous voulons que la démocratie, la solidarité, l’ouverture, le vivre ensemble, la contribution au bien commun, l’empathie, des valeurs qui sont aussi la clé de notre avenir commun sur cette planète demeurent, il est nécessaire de le promouvoir à nouveau et de plus belle. Pour cela, les écoles sont l’endroit adéquat et idéal.
Ne nous mentons pas, la société actuelle dans son ensemble baigne dans un capitalisme néolibéral, qui non seulement régit le travail, les échanges marchands et financiers, mais imprègne aussi nos vies à un point dont nous n’avons pas toujours conscience du monde qui nous entoure. Le système dans lequel nous vivons aujourd’hui va précisément à l’encontre du vivre-ensemble, puisqu’il est fondé sur l’accumulation de richesses et de pouvoir par une minorité, sur la surconsommation comme la clé de l’existence sociale, sur la concurrence généralisée, sur la loi du plus fort, sur le mérite individuel et la croyance qu’on peut se construire et s’épanouir par la seule force de sa propre volonté. Et dans cette ère bousculée, qui a réveillé l’instinct de survie et l’a fait devenir une mode, voire une priorité, des dangers humains guettent la planète.
On a aussi remarqué que depuis quelque temps, l’école n’est qu’un lieu où le jeune doit montrer une image de lui-même, qui va lui permettre d’être intégré, admis et reconnu. Beaucoup doivent se doter d’une carapace, jouer un rôle, sous peine de souffrir de moqueries et d’exclusions diverses. Agresser et rabaisser l’autre semble être la norme dans les relations, le top pour se faire bien voir de ses congénères. Si certains ne se construisent pas ou n’arrivent pas à créer une apparence conforme, ils risquent des exclusions et parfois, de réelles difficultés affectives et psychologiques.
En même temps, se fabriquer et entretenir cette image conforme ou cette image de soi « idéale » prend des proportions démesurées demande beaucoup d’énergie et occasionne une souffrance, qui sera nuisible dans le nouveau contexte post pandémique. Il est difficile pour des élèves de réaliser des apprentissages car ils peinent à se concentrer quand leurs esprits sont absorbés par des problèmes relationnels, des moqueries, voire des harcèlements plus ou moins perçus par l’équipe éducative.
Si pour l’instant le monde arrive à tenir, à manger des coups et à se relever c’est car les adultes d’aujourd’hui étaient autrefois les enfants de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, des progrès de la Sécurité Sociale, et de l’espoir d’un avenir plus beau que le présent. La solidarité, la force de l’action collective et la primauté des droits humains faisaient partie de leur univers mental, culturel, mais ceci est de moins en moins le cas pour les jeunes aujourd’hui. Or, ces valeurs du vivre-ensemble, la solidarité, le respect, le partage, la justice seront plus que jamais nécessaires. Et elles pourraient contribuer à un monde meilleur où règnera ordre et harmonie à l’état naturel.
Raison pour laquelle il faut inculquer aux jeunes dans les écoles, que le respect et la bienveillance ne sont pas des options mais un devoir nécessaire. Il faut leur dire que le vivre ensemble, dans la société comme à l’école, ne se résume pas à la paix sociale, à la coexistence pacifique, à vivre les uns à côté des autres sans se taper dessus. Mais que la solidarité et l’union est dynamique, fécond, porteur de vie, de joie et de créativité. Il faut leur montrer que l’union fait la force et qu’ensemble, rien n’est impossible. Il faut ouvrir leurs esprits sur la compréhension, la collaboration, l’acceptation de soi et d’autrui, la confiance. Il faut les enseigner le vivre ensemble parce que vivre ensemble aujourd’hui, c’est changer ensemble et construire ensemble une société où il fasse bon vivre.
On pourra dire que l’enseignement des valeurs humaines est déjà favorisé par les règles et limites qui sont appliqués en classe durant ses cours. Comme de ne pas tolérer les insultes, les manques de respect ou les injustices par le climat d’écoute et de non-jugement, qui prévaut dans les établissements. Certes, tout cela peut avoir une influence positive mais pour un réel « être bien ensemble », il faudrait que cet esprit règne dans toute l’école, et que ce soit une démarche intériorisée, intégrée. Sans cela, les jeunes en resteront au stade des règles imposées et n’arriveront pas à un changement durable et profond.
Ouvrir les jeunes à leur propre intériorité sera essentiel dans ce monde où le règne de l’apparence et du tape-à-l’œil les exile d’eux-mêmes. Une éducation académique, qui ne commencerait pas par une reconnexion à soi-même, risquerait bien de n’obtenir que des résultats de surface et pas le changement, dont nous avons besoin pour aujourd’hui et demain. C’est le fondement souvent négligé de toute démarche de citoyenneté. La spiritualité, la sensibilité, la fragilité, les fêlures, la diversité des vécus et des aspirations ne devraient pas être laissés au hasard dans ces temps difficiles et incertains.
Les jeunes peuvent, comme les adultes, constater que la terre ne tourne pas très juste. Ils ont parfois l’impression que l’école est un microcosme hors de la société et qu’en tant qu’élèves et jeunes, ils n’ont pas de rôle à jouer dans cette société qui, par ailleurs, ne leur semble guère accueillante. Leur donner l’occasion de comprendre certains sens de la vie, des réponses existentielles dès leur jeune âge, avec des explications continues, renforcera leurs idées et leur confiance en eux-mêmes et en leur capacité à devenir des acteurs de changement.
Comment les transmettre ? La question n’est pas nouvelle, Platon et Aristote s’étaient déjà demandés si l’on pouvait enseigner la vertu. Aujourd’hui, moi, je donne la réponse. Bien sûr que OUI. Déjà que des YouTubeurs s’inventent comme des coach de vie sur les réseaux sociaux et ont des impacts éclatants. Dans le milieu scolaire, il ne sera pas impossible de former des vrais professionnels ; d’établir un plan sur la durée et d’instaurer des classes.
Enseigner les valeurs n’est, certes, pas un enseignement comme les autres. Mais, il faut bien comprendre que lorsqu’un professeur enseigne la justice à un élève, ce n’est pas seulement pour lui donner quelques^ lumières sur l’idée de justice, c’est surtout pour qu’il se comporte de manière juste. Dorénavant, nous avons besoin de bonnes personnes, de citoyens, de patriotes. Il faut donc trouver les sujets et faire en sorte à ce qu’ils y adhèrent de manière volontaire. Un temps de pause et d’explication ne sera pas de trop.
Pour rappel, les établissements scolaires que l’on considère les plus prestigieux dans le monde, ont créé leur réputation grâce aux élèves qu’ils ont formés et qui ont contribué d’une manière ou autre à notre monde. C’est par la discipline qu’ils ont non seulement imposé mais enseigné. Créer des supers scientifiques ou économistes n’aura aucune utilité, s’ils ont l’esprit cabossé ou si c’est pour piller la planète. Poutine est un président puissant sur le plan mondial mais pourtant, aucune école et université s’en est félicitée !
Joël Marianne
Rédacteur-en-Chef
Le Xournal, le Xournal Dimans